Psychomarketing : Pourquoi les riches ne paient pas ?

Philippe Gouillou - 26 décembre 2019 -https://evopsy.com/concepts/marketing-richesse.html
Tags :Compétition sexuelle, Dissonnance Cognitive, Psychomarketing
Etre riche c'est ne pas payer : sur-payer une oeuvre d'art et sous-payer sa femme de ménage relèvent de la même stratégie d'acquisition de dominance.

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La règle d’or : Qui a l’or fait les règles1

Ce sont des critiques qu'on entend souvent : tel "riche" refuse de payer au prix de tout le monde et/ou sous-paie ses employés et/ou maltraite financièrement ses fournisseurs, etc. ... alors même qu'il s'affiche aux yeux de tous comme un généreux mécène humanitaire. Il ne s'agit pas simplement d'un reproche de son manque de générosité, mais bien de celui de son refus de payer la valeur normale, de sa volonté d'obtenir des conditions spéciales dont il a beaucoup moins besoin que ses victimes. Et à quasiment chaque fois la question du pourquoi est posée, et généralement répondue par un défaut des personnes concernées : hypocrisie, etc. Mais, même s'il est connu que les riches mentent plus (et mieux), ce comportement est trop fréquent pour que cette hypothèse soit valide : il faudrait que les riches soient vraiment disproportionnellement plus hypocrites que les autres ! Une autre explication est possible :

Si on prend en compte la compétition sexuelle, ce comportement est parfaitement rationnel et il peut se résumer en une phrase : ETRE RICHE C'EST NE PAS PAYER.

Stratégie

L'explication est toute simple une fois qu'on a considéré ces 2 évidences :

  1. Par définition, un riche peut certes se payer plus de choses qu'un moins riche et moins qu'un plus riche, mais pas plus qu'un riche de même niveau.
  2. Un riche est comme toute autre personne en compétition avec les personnes de son niveau (principe du "Chacun joue dans sa cour"), et devra donc composer aux deux niveaux de la conformité et de la dominance2 : obligations d'afficher la première et tentatives d'atteindre la seconde.

et distingué 3 niveaux d'achats3 :

  1. Les achats de base : ce qui est inévitable
  2. Les achats de conformité : la voiture ou le logement correspondant à son niveau, etc.
  3. Les achats de prestige : objet de luxe ou signalement vertueux

Seuls les achats de 3ème niveau rapportent quelque chose en compétition sexuelle, en s'inscrivant dans la Théorie du Handicap : ils sont des signalements coûteux qui prouvent la fortune.

Il est cependant possible de transformer les achats des deux premiers niveaux en gains dans la compétition sexuelle : en les payant moins cher que les autres, voire (mieux) en se les faisant offrir.

En se faisant donner quelque chose qu'il pourrait très facilement se payer, le riche ne fait pas que montrer sa dominance sur un plus pauvre qui a plus besoin d'argent que lui, il montre à tous qu'il est tellement important qu'il n'a pas besoin de son argent pour s'offrir quelque chose : il est plus que son argent. Il n'y parviendra pas toujours, mais alors obtenir un rabais sera un moyen de s'en rapprocher.

En d'autres termes : sur-payer une oeuvre d'art et sous-payer sa femme de ménage relèvent de la même stratégie d'acquisition de dominance.

Une stratégie de dominance

La dominance se définit par la capacité à gagner des conflits d'intérêts asymétriques (ou un gagne plus que l'autre). Cette stratégie apparaît ainsi comme une pure stratégie de dominance :

  • Elle augmente l'asymétrie de l'échange à son profit (et donc augmente sa dominance).

  • Elle active de plus un déclencheur de dominance en affichant son non-respect des règles. Le meilleur moyen d'augmenter sa dominance est de ne pas suivre les règles et s'en sortir (exemple : photo ci-dessus du stationnement de Steve Jobs), la vraie réussite étant, comme déjà remarqué par Saint Augustin4, d'accroître l'impunité5. Ne pas payer le prix normal est une des manières de s'affranchir ostensiblement des règles.

  • La principale règle non respectée dans cette stratégie est celle de la réciprocité. Cela signifie que celui qui suit cette stratégie et a obtenu un cadeau (ou une remise) ne compensera pas la fois suivante mais au contraire exigera toujours plus, ce qui initiera un effet d'emballement (rétroaction positive).
    Cette remise en cause du besoin de réciprocité peut bien sûr avoir des effets secondaires négatifs (voire destructeurs).
    Voir aussi : Effet Benjamin Franklin et Des pigeons qui nous gouvernent : Programmés pour être exploités

L'importance de la culture locale

Il n'y a pas que les "riches" qui appliquent cette stratégie : on la retrouve à tous les niveaux de fortune6. De même tous les "riches" ne l'appliqueront pas : la personnalité joue, certains ne se définiront pas en fonction de leur fortune et seront en compétition sur d'autres critères, ou alors seront suffisamment au-dessus des autres pour ne pas être en compétition avec eux.

Le point important est la définition du critère de compétition (richesse, créativité, etc.) et du groupe auquel on appartient. En effet, comme l'avait expliqué la Lettre Neuromonaco 5, Halevy et al. (2011) ont montré que le comportement généreux ou égoïste a un effet différent (voire opposé) selon qu'il se pratique à l'intérieur ou à l'extérieur du groupe de référence :

  • Etre généreux au sein de son groupe augmente son prestige mais baisse sa dominance (tels que perçus par les autres membres du groupe)
  • La contraposée est vérifiée : être égoïste augmente sa dominance (ce qu’ont remarqué les media) mais baisse son prestige
  • Etre généreux en dehors du groupe fait chuter à la fois la dominance et le prestige
    Lettre Neuromonaco 5

Cela signifie que plus la culture locale accorde de l'importance à la richesse dans la distinction des groupes, plus chacun aura intérêt à appliquer cette stratégie au détriment des moins riches que lui.

Comment contrer cette stratégie ?

Le meilleur moyen de ne pas être victime de cette stratégie est bien sûr de ne pas y succomber : ne pas faire de cadeau ni de remise, etc.

Ce n'est hélas pas toujours possible. Il faut alors se baser sur la distinction de Halevy et al. (2011) et contre-attaquer au niveau du prestige (rappel : Statut = Prestige + dominance).

Références

Halevy, N., Chou, E. Y., Cohen, T. R., & Livingston, R. W. (2011). Status conferral in intergroup social dilemmas: Behavioral antecedents and consequences of prestige and dominance. Journal of personality and social psychology. doi:10.1037/a0025515

Liens

Image

Mercedes de Steve Jobs (Apple) qu'il garait toujours sur la place la plus proche de l'entrée... quelles que soient les règles...

Historique des modifications

Date Historique
26 Décembre 2019 1ère Mise en ligne

Notes


  1. "The Golden Rule: He Who Has the Gold Makes the Rules." Attribué par Quote Investigator à Johnny Hart, l'auteur de “Wizard of Id” du 3 mai 1965 

  2. Dominance : Capacité à gagner des conflits d'intérêts asymétriques (ou un gagne plus que l'autre) 

  3. Bien sûr ces niveaux ne sont pas totalement exclusifs : les achats de prestige doivent être conformes et les signalements virtuels sont aussi des preuves de conformité. 

  4. Saint Augustin :

    "En effet, que sont les empires sans la justice, sinon de grandes réunions de brigands ? Aussi bien, une réunion de brigands est-elle autre chose qu’un petit empire, puisqu’elle forme une espèce de société gouvernée par un chef, liée par un contrat, et où le partage du butin se fait suivant certaines règles convenues ? Que cette troupe malfaisante vienne à augmenter en se recrutant d’hommes perdus, qu’elle s’empare de places pour y fixer sa domination, qu’elle prenne des villes, qu’elle subjugue des peuples, la voilà qui reçoit le nom de royaume, non parce qu’elle a dépouillé sa cupidité, mais parce qu’elle a su accroître son impunité."
    Augustin d’Hippone. La Cité de Dieu. Livre IV Chapitre IV. Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie, 1869 (p. 73)

  5. Voir sur Evopsy : The Way Of Men : la masculinité expliquée par l'Evopsy

  6. Exemple : publiez un livre et il n'y aura pas que les "riches" qui s'attendront à le recevoir gratuitement...